Les rapports de l’AERES : dire et faire l’évaluation : compte rendu de 2017
Table ronde animée par Pascal Roquet aux journées d’étude 2017
Christine Barats, Université Paris Descartes et Céditec, Université Paris Est Créteil
Emilie Née, Céditec, Université Paris Est Créteil
La multiplication de dispositifs et de pratiques d’évaluation dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), comme par exemple les classements académiques, les labels ou les rapports d’évaluation de l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) invite à examiner les discours qui les portent, tout autant que les mécanismes de leur déploiement et de leur institutionnalisation (Paradeise, 2012 ; Mignot-Gérard, Sarfati, 2015). Il est important de rappeler que les pratiques d’évaluation dans l’ESR sont anciennes et variées (Gingras, 2014), que ce soit du point de vue de leurs modalités de mise en œuvre ou des situations dans lesquelles elles s’inscrivent (habilitation de formations, évaluation d’unités de recherche, de projets de recherche, etc.). Le CNE (Comité national d’évaluation), première instance ad hoc en charge de l’évaluation, a ainsi été créé en 1984. Les pratiques d’évaluation se sont cependant intensifiées au cours des années 2000 avec la création, en 2005, de l’ANR (Agence Nationale pour la Recherche) pour le financement et l’évaluation de projets de recherche, puis la création en 2006 de l’AERES pour l’évaluation des formations et des équipes de recherche, devenue HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) en 2013.
Christine Musselin note ainsi une agencification de l’ESR, avec la création d’instances d’évaluation, symboliquement désignées par le terme « d’agence », dans des systèmes où ce type d’instance n’existait pas (Musselin, 2017 : 107). Ces transformations se traduisent par une séparation stratégique entre l’autorité de tutelle et les agences en charge de l’opérationnel, ces dernières exerçant un micro-management basé sur la compétition et la sélection.
Dans le prolongement de travaux en science politique (Gozlan, 2016) et en sociologie (Pontille, Torny, 2010, 2012 ; Agulhon, 2013), les rapports rédigés par les comités d’experts de l’AERES et adressés aux laboratoires de recherche après expertise constituent un matériel d’investigation pour examiner comment se dit et se pratique l’évaluation. Ces rapports sont en effet à la fois le produit et le résultat d’un processus qui s’inscrit dans la durée et qui se caractérise par la production de nombreux documents en amont et en aval de la visite effectuée par le comité d’experts. Ce processus long s’accompagne de moments clefs où interagissent les acteurs (réunions, séminaires) que ce soit au niveau de l’AERES ou au niveau des entités évaluées qui préparent les documents nécessaires à l’évaluation. Tout au long du processus circulent différents types d’écrits (textes de cadrage, documents transmis par les entités évaluées…) qui disent et font l’évaluation. C’est également un instrument d’imposition -ou non-, d’indicateurs (rythme de publication, type de publication etc.) et de pratiques qui sont valorisés par l’AERES, devenue HCERES. Comme outil d’évaluation normalisé et normalisant, le rapport AERES découle d’une grille de lecture préétablie ainsi que d’une conception de la recherche qui se matérialise et s’observe dans le plan adopté pour rédiger les rapports, la thématisation de certains aspects (nombre de publications, par exemple) et le choix d’un lexique spécifique adossé à des indicateurs (« publiants », « rayonnement »).
A partir d’un corpus de rapports, nous menons une étude socio-discursive afin d’examiner l’évolution dans le temps de ces descriptions-prescriptions en confrontant différentes vagues d’évaluation, celles de 2008-2010 et celles de 2012-2014. L’accent porte sur les régularités et les variations discursives qui caractérisent l’évaluation dans ce type de rapport. Il s’agit de mettre au jour leurs caractéristiques tout en tenant compte du profil des acteurs qui les rédigent. L’étude proposée tient également compte du poids des disciplines et de leurs logiques internes (Gozlan, 2016). Il s’agit aussi d’observer d’éventuelles variations ou discordances. Catherine Agulhon a ainsi noté dans le cas de l’évaluation de formations « des appréciations contradictoires pour des situations semblables : ici on reprochera un manque d’intervenants professionnels, là on trouvera qu’il y en a trop. Ici on trouvera que la formation est trop pragmatique, trop spécialisée, là au contraire qu’elle est trop générale, que ses objectifs ne sont pas assez ciblés. Ces discordances démontrent le manque de précisions des objectifs. On constate ainsi une certaine labilité de l’évaluation, mais aussi des jugements qui se basent sur des a priori temporaires et implicites. » (Agulhon, 2013 : 141).
C’est pourquoi, nous appréhendons les rapports comme le résultat d’un processus de dialogue et de négociation inscrit dans la durée, et également comme le fruit d’un rituel engageant les évaluateurs (i.e. le « comité d’experts ») et les évalués.
Références bibliographiques
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